DEMAIN, VÉGÉTARIEN
?
Le végétarisme n’est plus un régime périphérique :
il en est un manifeste esthétique, éthique, sensoriel.
Dans l’univers du luxe, ce glissement n’est pas anodin.

Quand la haute gastronomie soigne le vivant
Car si la haute gastronomie a longtemps fait rimer excellence avec gibiers rares, crustacés nobles ou viandes maturées, elle semble aujourd’hui entamer une mue discrète, mais profonde. Une révolution végétale, où les légumes ne sont plus une garniture mais une matière première, vivante, complexe, digne d’un récit.Selon une étude Gault & Millau (2024), les propositions végétariennes dans les restaurants gastronomiques ont augmenté de plus de 70 % en quatre ans. Plus encore : 1 chef sur 3 affirme aujourd’hui vouloir « végétaliser » ses menus durablement. Une évolution qui rejoint les attentes des clients eux-mêmes, en quête de sens, de cohérence, mais aussi de légèreté dans l’assiette. Car le luxe contemporain se désintéresse peu à peu de l’abondance pour mieux se reconnecter à l’intelligence du vivant.

Cette mutation, on la doit en partie à Alain Passard,
Pionnier dès 2001 avec son virage végétal à L’Arpège. Il fut longtemps seul dans ce sillage. Puis, Claire Vallée, à Arès, change la donne : son restaurant ONA devient en 2021 le premier établissement vegan étoilé au Michelin. Bien qu’ONA ait fermé ses portes, Claire Vallée poursuit son exploration radicale de la cuisine végétale à travers des restaurants éphémères à thème, pensés comme des expériences confidentielles et disruptives. Sa vision du luxe culinaire ? Libre, organique, engagée.
En Suisse, Tobias Funke, chef du Gasthaus zur Fernsicht (Heiden), conjugue gastronomie contemporaine et nature brute : ses assiettes végétales sont de véritables paysages comestibles. À Bex, Marie Robert (Café Suisse), récompensée par le Michelin, joue une partition libre, intuitive, où les produits de son jardin se mêlent aux herbes alpines.
En France, Paris devient un laboratoire du végétal : Cama, restaurant du duo Fanny Gauthier & Thomas Coupeau, affiche un menu 100 % végétal, sans militantisme. « Nous voulons créer du désir, pas de la culpabilité », résument-ils. Même posture à Lyon chez Sonia Ezgulian, où la cuisine du marché devient terrain d’invention quotidienne, entre chic et simplicité.
À l’international, le mouvement s’intensifie. À Tokyo, Zaiyu Hasegawa (restaurant Den, 2 étoiles), s’inspire du bouddhisme shōjin ryōri pour composer des menus végétaux d’une finesse méditative. À Los Angeles, Matthew Kenney, chef-entrepreneur, construit un empire plant-based mondial, mêlant design, nutrition et hédonisme. À Copenhague, le mythique Noma, plusieurs fois élu meilleur restaurant du monde, a annoncé une fermeture prochaine en tant que restaurant, mais une orientation accrue vers le végétal dans ses projets futurs.
Ce basculement n’a rien d’un effet de mode.
Il traduit une reconfiguration plus vaste du luxe : moins de rareté coûteuse, plus de lien au territoire, à la saison, au geste. Moins de domination, plus de soin.
Demain, végétarien ?
Sensiblement, oui.
Et cela, le luxe l’a bien compris.



Crédits photos : Bernhard Winkelmann, Christoph Kern, Alex Cretey Systemans, Michael Graydon, Douglas Mc Wall, Sophie Rolland, Jean Claude Amiel
Wilfried Debaise, Mathieu Maury, Robin Panfili @robinarchives, Dimaj Studio